Il y a dans les îles Baléares une ambivalence douce-amère, cette alchimie étrange entre farniente balnéaire et traditions farouchement ancrées. Minorque, c’est la discrète de la fratrie. Moins festive qu’Ibiza, moins effervescente que Majorque, l’île avance à pas feutrés. Et peut-être est-ce cela qui séduit tant. Ici, la lumière semble se poser avec délicatesse, les criques jouent à cache-cache avec les pins, et les vieilles pierres racontent encore des récits maures et britanniques. Minorque n’est pas à visiter, elle est à ressentir.
Des criques secrètes, recoins magiques entre terre et mer
Marcher sur les sentiers de Minorque, c’est apprendre la lenteur. Chaque détour dans le maquis dévoile une crique aux eaux limpides, souvent accessible uniquement à pied ou par la mer. Il y a quelque chose de profondément gratifiant à mériter son bain — quelques gouttes de sueur pour une goutte d’émeraude.
Cala Escorxada par exemple, ne se donne pas facilement. Après une randonnée d’environ 45 minutes depuis le petit village d’Es Migjorn Gran, vous atteignez une baie isolée, ourlée de sable blanc et bordée de falaises calcaires. Le sentiment est toujours le même : celui d’être seul au monde, naufragé volontaire dans un petit paradis méditerranéen.
Moins confidentielle mais tout aussi charmante, Cala Macarella, et sa petite sœur Cala Macarelleta, rivalisent de beauté turquoise. En juillet-août, elles attirent davantage de curieux, mais si vous vous levez tôt — vraiment tôt —, vous pouvez les savourer dans un silence presque liturgique, enveloppé par le chant des cigales.
Un conseil de randonneur prévoyant : toujours emporter de l’eau, un chapeau et des chaussures fermées. Les accès ne sont pas tous carrossables et c’est précisément cette difficulté qui protège leur magie.
Le Camí de Cavalls, cordon ombilical autour de l’île
Ceux qui aiment marcher auront de quoi s’enivrer. Le Camí de Cavalls (GR 223) est un sentier circulaire de 185 kilomètres qui ceinture l’île. Ancienne voie militaire utilisée initialement par la cavalerie pour surveiller les côtes, ce chemin mythique a été réhabilité pour les randonneurs en quête d’aventures contemplatives.
Il longe des capes battus par les vents, serpente entre des pinèdes odorantes, traverse des plages désertes, et se prête aussi bien à l’exploration d’un après-midi qu’à une itinérance de plusieurs jours. Chaque étape offre son lot de surprises : une tour de guet solitaire, un troupeau de vaches rousses, un figuier audacieux suspendu au bord d’une falaise.
Mon tronçon coup de cœur ? Celui entre Cala Galdana et Cala Mitjana. Une marche douce et ombragée, ponctuée de points de vue spectaculaires. À certains endroits, vous pourrez même apercevoir des tortues méditerranéennes traverser le sentier avec un flegme tout insulaire.
Mahón et Ciutadella, deux cœurs battants, deux visages
Minorque ne se résume pas à ses criques. Pour la comprendre, il faut aussi plonger dans ses villes, Mahón à l’est, Ciutadella à l’ouest — comme deux pôles d’âme, complémentaires et contrastés.
Mahón, la capitale administrative, dévoile fièrement son port naturel parmi les plus grands d’Europe. On y flâne le long des quais, entre voiliers lustrés et tavernes endormies. Les marchés municipaux, comme celui du Mercado del Claustro del Carmen, regorgent de produits locaux : fromages, sobrassada, fruits confits, et ce petit gin autarcique, le Xoriguer, héritage britannique distillé à base de baies de genévrier.
Ciutadella, de son côté, a les pierres chaudes et les ruelles nobles. Ancienne capitale de l’île, elle danse au rythme andalou de ses patios fleuris et de la ferveur religieuse pendant les fêtes de Sant Joan. J’ai vécu là un moment suspendu, un soir d’été sur la place Es Born, quand un violoniste solitaire faisait danser les étoiles sur des notes de Bach.
Sous la peau de Minorque : une culture enracinée
Minorque est animée d’un battement de cœur discret, mais régulier. Terres agricoles, traditions équestres, artisanat local… Ici, tout semble avoir gardé sa poésie d’antan. Le domaine rural, très préservé, est ponctué de talaiots, mystérieuses constructions préhistoriques témoignant de la civilisation talayotique. Ces pierres brutes, alignées en torres ou en cercles, fascinent autant qu’elles interrogent.
Dans les campagnes, on rencontre encore des artisans potiers, tisserands ou charcutiers, qui perpétuent des gestes ancestraux. J’ai eu l’occasion de discuter longuement avec Maria, une tisserande d’Es Mercadal, occupée à restaurer un motif traditionnel au métier à tisser. Elle m’a confié ceci : “Nous tissons ce que le vent nous souffle, et ici le vent a de la mémoire.”
Les fêtes populaires, notamment les festes de cavalls, sont quant à elles intenses, vibrantes. Les chevaux, noirs comme la nuit et dressés sur leurs pattes arrière, font résonner les pavés dans un ballet quasi mystique. C’est un moment fort, où la communauté tout entière se rassemble, dans des éclats de tambours et des gerbes de fleurs.
Une gastronomie simple, terrienne et iodée
Que serait un voyage sans la magie des saveurs ? La cuisine minorquine, moins connue que celle de ses grandes sœurs baléares, mérite pourtant tous les éloges. Ici, on célèbre les produits de saison, les ingrédients locaux, cuisinés avec une simplicité touchante.
Je pense au caldereta de langosta, ce ragoût de langouste typique de Fornells, ou à la sobrassada légèrement sucrée, souvent dégustée sur du pain rustique. Et si votre périple se prolonge jusqu’à une fin de soirée tranquille, ne manquez pas un verre de Xoriguer agrémenté de limonada — le cocktail “pomada” — à siroter avec des olives engourdies de sel.
Les marchés locaux sont de véritables festins visuels. À celui de Mahón, j’ai rempli mes poches d’amandons croquants, de fines charcuteries, et d’un fromage de Mahon-Menorca, corsé, vieilli à la perfection… Un parfum de terroir qui reste longtemps sur le palais — et dans les souvenirs.
Quand partir, et comment s’y rendre ?
Minorque s’apprécie pleinement entre mai et octobre, lorsque le climat est doux, les criques baignées de lumière et les sentiers praticables. Juillet et août sont plus animés, forcément plus fréquentés, mais les aubes y conservent une fraîcheur délicieuse, presque complice.
L’île est accessible en vol direct depuis plusieurs grandes villes françaises pendant la haute saison. Le petit aéroport de Mahón vous accueille sans chichis. Une fois sur place, la location d’une voiture ou d’un scooter est vivement conseillée si vous souhaitez explorer les recoins les plus cachés. Mais n’oubliez pas : parfois, le plus beau voyage commence là où finit la route goudronnée. Minorque se mérite, et c’est bien ce qui rend chaque découverte si précieuse.
Et si vous vous demandez encore pourquoi choisir Minorque plutôt qu’un autre rivage méditerranéen… Peut-être justement parce qu’ici, personne ne cherche à vous séduire. L’île ne s’impose pas. Elle se laisse apprivoiser, petit à petit, à la vitesse d’une voile dans le vent.
Alors, prêt(e) à poser vos pas dans cette discrète beauté ? Prenez le temps. Minorque vous attend, dans le murmure d’une crique oubliée ou le sourire d’un berger croisé au fil d’un sentier.